Musique et Champagne

La vision exhaustive du Champagne, que nous avons essayé d’avoir, nous a amené à nous intéresser aux relations avec l’art. Nous avons pu constater que celles-ci étaient nombreuses, notamment en ce qui concerne les grandes maisons qui l’utilisent abondamment dans le cadre d’une communication sophistiquée lié à leur statut. La plupart des maisons se tournent vers les arts graphiques sauf Krug qui a jeté son dévolu sur la musique dès le milieu du XIXème siècle. Ces Champenois font, depuis cette époque, découvrir leurs nouvelles cuvées aux clients  au moyen  d’une expérience  musicale, dans le cadre d’évènements éphémères qu’ils organisent. 

Cette démarche de Krug a attiré notre attention sur les relations particulières du champagne avec la musique, autres, pour partie, que celles que nous avions déjà vu entre la musique et le vin. Cette approche est appuyées par les propos d’un sommelier qui affirmait à l’AFP : « Le champagne c’est aérien, extrêmement évasif, une texture qui appelle à l’ouverture, la bulle, cela invite à la musique tout de suite ».

Cette ancienne maison fondée par un anticonformiste Joseph Krug en 1843, et qui en est à sa 6ème générations,  est connue pour l’utilisation d’assemblages portant sur de multiples millésimes pour assurer une qualité maximale chaque année. Ceux-ci sont réalisés depuis 2002 par son maitre de chai Eric Lebel. Celui-ci prend en compte, pour ce faire, plus de 120 vins de plus de 10 années différentes. Il agit comme un véritable chef d’orchestre.
La maison utilise le langage musical pour illustrer ses principes sophistiqués d’assemblage. « Cette analogie, je la pratique depuis trente ans » précise le patron Olivier Krug.  Le nombre de musiciens est le principal paramètre :
*  Dans le cas où un vin provient d’une seule parcelle, Krug parle de musicien unique.
*  Quand il s’agit d’une seule parcelle sur une seule année, il s’agit d’un soliste.
*  Pour un assemblage de vins d’une même année, c’est un ensemble de musiciens.
*  Lorsque la maison a assemblé 146 vins, issus de onze années différentes pour réaliser sa prestigieuse Grande Cuvée, le Champagne a été assimilé à une symphonie

Krug ajoute des accords musicaux en plus des traditionnels accords mets et vin pour décrire son Champagne.

L’étude des caractéristiques des vins produits par les différentes parcelles a abouti à la création de dix paysages par sonores. Ceux-ci ont été réalisés, par des chercheurs de l’IRCAM (Institut de Recherche et de Coordination Acoustique – Musique) et par le compositeur Roque Rivas.

Krug a collaboré pendant plusieurs années avec le professeur d’Oxford Charles Pence ainsi qu’avec l’Ircam sur les connexions entre la musique et le goût.

Chaque Champagne de la gamme correspond à des morceaux différents. Ceux-ci sont soit composés ou choisis par des musiciens. Krug a ainsi associé  la 167e édition de la grande cuvée  avec une « symphonie immersive » composée par le Belge Ozark Henry .

Krug structure et de formalise sa démarche commerciale autour de la musique par l’intermédiaire de projets pilotés par le service marketing.

L’engagement de Krug envers la musique s’est traduit par la création d’un fond pour la musique  FondsK  Le principe de celui-ci est d’investir dans des projets philanthropiques autour de la musique et du son. 

Nous allons, à la suite, nous intéresser plus globalement aux relations entre le champagne et la musique en évitant de se perdre, prenant en compte le conseil  de Charles Philipponnat, PDG de la maison du même nom : « il ne faut pas en faire trop, sinon on s’y perd. Mais de la belle musique classique dans une chapelle romane, des vins qui correspondent à cette ambiance, c’est une chose merveilleuse » lance-t-il. 
 

Les bienfaits de la musique pour le Champagne en cave

Certains pensent que la musique fait du bien au Champagne comme elle fait du bien aux gens, considérant que le Champagne est un produit vivant. Martine Loriot propriétaire du Champagne du même nom bien connu affirme  que « La musique, cela me fait du bien, cela ne peut faire que du bien à mes champagnes! ». Le couple Loriot, dont les ancêtres étaient musiciens, sont très mélomanes. Ils associent leur double passion du fait que le père de Michel avait dû arrêter la musique pour travailler. Ils font vieillir leurs champagnes en musique dans leur cave à Festigny. Ils mettent de la classique 24 heures sur 24. Ils choisissent Mozart, Vivaldi, Beethoven, Brahms ou Tchaïkovski. Ils « interdisent » Wagner dont les sons trop forts, risqueraient de stopper la fermentation. Les styles de musique sont adaptés à chaque phase de la vinification. Ils diffusent par exemple la Symphonie Pastorale de Beethoven lors de la prise mousse, au moment où les levures sont très actives.  

Les bienfaits de la musique dans les vignes de Champagne

La musique est aussi utilisée dans les vignes pour réduire la quantité de produits phytosanitaires, notamment. On agit ainsi contre la propagation d’un champignon esca, maladie du bois très ancienne. C’est une musique particulière dénommée protéodie. Sont ainsi diffusées des ondes auxquelles les plantes son réceptives. Celles-ci stimulent leur résistance naturelle à certaines maladies. La puissance de ces ondes résulte du fait qu’elles reproduisent les ondes produites par les acides aminés dans le cadre du processus de synthèse des protéines. Cette technique, la génodique, connues également des maraichers a été découverte dans les années 80 par Joel Sternheimer. Le résultat c’est que la maladie ne progresse plus sur les 7 domaines champenois.
 

Le côté scientifique de notre approche repose sur les recherches sur la musique réalisées par Charles Spence, professeur en neurosciences à Oxford. Ce scientifique a démontré que la musique modifie les perceptions en influant sur la zone du goût située dans le cerveau. 
Ce point de vue est confirmé par Eric Beaumard, sommelier et directeur du restaurant le Cinq qui considère qu’associer Champagne et musique « amène une autre dimension dans le plaisir ». 

Ferber, fameux studio d’enregistrement Parisien, a organisé une expérience de dégustation de Champagne les yeux fermés en écoutant une symphonie qui lui était dédiée. Celle-ci comprenait 191 voix correspondant au nombre des vins le composant.

La « symphonie immersive » de la 167e édition de la grande cuvée de Krug a été jouée aux studios Ferber puis à l’étranger, notamment en Asie, Séoul, et Tokyo, à Los Angeles, et en Europe, Londres, Milan, Hambourg et Gstaad.

Les dégustateurs sont assis dans une pièce à la lumière tamisée et où aucun son ne pénètre de l’extérieur.  Les gens boivent d’abord une gorgée de Champagne dans le silence. Ensuite ils en reprennent une fois que la musique est mise. 

Anne-Catherine Desdouits de chez LVMH, qui a participé à la dégustation, a témoigné des sensations ressenties « J’en avais la chair de poule » avait-elle confié. « J’ai ressenti à la fois de la profondeur et de la légèreté, et cette scintillance, le tout dans une harmonie assez céleste » avait-elle précisé.

Elle avait offert cette dégustation à sa fille, Colombe pour ses 18 ans. Les propos de celle-ci sont du même ordre. « C’est comme une œuvre d’art » avait-elle affirmé. 
Chez Apollonis, Champagne Michel Loriot, une expérience a été réalisée consistant à déguster en écoutant différents styles de musique.  Il s’agissait, selon les organisateurs, d’« une cuvée Meunier assez fruitée et ronde ». Ils ont constaté « des sensations totalement différentes en fonction du style de la musique ». Les observations étaient les suivantes « Quand on a un jazz très cool, on a un bon ressenti de la cuvée et avec quelque chose qui soit plus rock avec beaucoup de guitare électrique, on arrive à augmenter le ressenti acide ».

Le plaisir immense apporté par le mélange des sensations musicales et gustatives a abouti à une multiplication des dégustations musicales. 
Ainsi des vins et Champagne ont été doublement sublimés par les plats du chef triplement étoilé Christian Le Squer, accompagnés par un pianiste jouant des morceaux spécifiques pour chaque accord.

« La musique enrichit l’expérience, la mémoire la plus profonde c’est le son », selon Ozark Henry auteur-compositeur-interprète belge qui  a et « écoutant » le champagne  pendant des heures dans la cave de Krug à  travers des dégustations. 

Olivier Krug affirme que la musique « permet de révéler des facettes aromatiques qu’on n’aurait pas sans la musique ». Selon lui, « On est en train de mettre le doigt sur un univers qui dépasse de loin le champagne qui ouvre la porte à la science et à la santé ».

La musique peut aussi mettre en évidence les caractéristiques organoleptiques lorsque les mots du vin s’avèrent insuffisants. Cela se produit généralement du fait d’une usure engendrée par une utilisation trop fréquente.

Les particularités d’un Champagne Blanc de Blanc du Mesnil-sur-Oger s’harmonisera, par exemple avec des notes vibrantes donnant une sensation de clarté.

Un Champagne Blanc de Noir de la montagne de Reims, à base de pinot noir, sera plutôt en harmonie avec des notes de basse, longues et soutenues, qui sont sombres.
Les sensations gustatives produites par la dégustation de vin ont aussi permis à des musiciens de l’Opéra de Lyon de composer des morceaux les intégrant.